La crise agricole qui sévit actuellement en France a poussé de nombreux agriculteurs à manifester leur colère dans les rues. Entre inflation galopante, revenus en berne et charges qui explosent, leur situation est devenue intenable. Pourtant, des solutions technologiques innovantes existent pour faciliter leur quotidien et imaginer un nouveau modèle agricole viable. Tour d’horizon des innovations AgriTech les plus prometteuses.
Une crise agricole sans précédent
Le modèle agricole français est en pleine tempête : selon une étude menée fin 2022 par l’institut AgriDées, 82% des agriculteurs estiment que leur exploitations sont en danger. Entre la flambée des coûts des intrants (+30% pour les engrais azotés, +129% pour le gazole agricole), la baisse des rendements liée aux aléas climatiques et la diminution du pouvoir d’achat des consommateurs qui réduit la demande, de nombreuses exploitations sont au bord de l’asphyxie.
Résultat : le revenu moyen des agriculteurs a été divisé par trois en 40 ans. Aujourd’hui, un agriculteur gagne en moyenne 350 euros par mois ! Face à cette situation intenable, de plus en plus d’agriculteurs jettent l’éponge, comme l’illustre ce témoignage poignant d’un éleveur de vaches laitières en Mayenne :
J’arrête mon troupeau de 50 vaches laitières faute de revenus suffisants pour vivre. À 43 ans, je n’ai plus le choix. Je ne peux plus rembourser mes emprunts. Je dois tout vendre d’ici juin prochain. J’avais repris la ferme de mes parents il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, je suis lessivé. L’inflation a eu raison du peu d’espoir qu’il me restait.
Face à l’urgence de la situation, certains agriculteurs en viennent à commettre l’irréparable, à l’image de ce éleveur de Haute-Loire qui s’est donné la mort après avoir mis le feu à ses vaches, n’en pouvant plus de accumuler les dettes.
Des solutions technologiques pour faciliter le quotidien des agriculteurs
La technologie peut-elle être un remède à cette crise sans précédent du modèle agricole français ? Si elle ne constituera pas à elle seule la panacée, elle peut grandement faciliter le quotidien des agriculteurs et les aider à optimiser leurs marges. Voici quelques innovations AgriTech prometteuses :
- L’agriculture de précision : elle utilise des drones, des GPS et des capteurs pour analyser très précisément les besoins des parcelles afin d’optimiser les intrants (irrigation, engrais, pesticides…).
- L’imagerie satellite : elle permet de surveiller l’état des cultures en temps réel pour détecter les maladies, le stress hydrique, l’invasion de ravageurs…
- Les objets connectés : colliers pour les animaux d’élevage, capteurs météo, détecteurs d’humidité des sols… Ils permettent un suivi en continu des cheptels et des cultures.
- L’intelligence artificielle : des algorithmes experts analysent un ensemble de données (météo, types de sols…) pour établir des modèles prédictifs utiles aux agriculteurs.
- La robotique : elle vise à automatiser certaines tâches agricoles répétitives et physiquement éprouvantes comme la traite des vaches.
- La blockchain : cette technologie de stockage et de transmission d’informations transparente et infalsifiable sécurise les transactions entre agriculteurs.
L’agriculture de précision, une approche sur-mesure des cultures
Parmi les solutions technologiques les plus prometteuses pour l’agriculture, l’approche sur-mesure de l’agriculture de précision (aussi appelée agriculture « à la carte ») constitue une petite révolution. Le principe ? Optimiser les rendements et la rentabilité des parcelles en adaptant très précisément les apports (irrigation, fertilisation, traitements phytosanitaires…) aux besoins spécifiques de micro-zones dans les champs.
Des outils high-tech pour une analyse poussée des parcelles
Concrètement, cela passe par l’utilisation combinée de différents outils technologiques :
- Des drones équipés de capteurs qui survolent les parcelles pour enregistrer des données hyperspectrales sur l’état des cultures : vigueur, biomasse, stress hydrique…
- Des stations météo connectées qui analysent les conditions climatiques dans les champs en temps réel : pluviométrie, température, humidité, ensoleillement…
- Des sondes qui mesurent l’humidité et les composants du sol à différentes profondeurs.
- Des systèmes d’information géographique (SIG) qui croisent toutes ces données pour dresser des cartes de prescription très détaillées avec différentes zones requérant des apports spécifiques.
Jusqu’à 25% d’économies sur les intrants
Grâce à cette photographie extrêmement précise de l’état des cultures, les agri-managers peuvent ensuite moduler avec une grande précision les apports sur chaque micro-zone en fonction de ses besoins : par exemple, moins d’engrais azotés mais plus d’irrigation sur certaines parties d’une parcelle et l’inverse sur d’autres.
Résultat : des rendements optimisés et jusqu’à 25% d’économies sur les intrants, ce qui améliore nettement les marges des exploitations. En prime, cette approche sur-mesure est plus respectueuse de l’environnement. Le secteur agricole émet 16% des gaz à effet de serre en France ; or, une fertilisation adaptée aux vrais besoins des plantes permet de limiter les excédents et donc les fuites de nitrates néfastes pour les sols et les nappes phréatiques.
L’imagerie satellite pour surveiller l’état des cultures
Autre technologie prometteuse : l’imagerie satellite, qui permet de surveiller l’état des parcelles agricoles en temps réel, à distance et à moindre coût. Des start-up comme Airbus ou Kayrros commercialisent désormais des services d’imagerie dédiés à l’agriculture de précision, capables de détecter différents types d’anomalies :
- Le stress hydrique : grâce à l’analyse de la réflectance lumineuse, on peut repérer les zones de culture qui manquent d’eau.
- L’apparition de maladies : certains pathogens modifient la pigmentation des feuilles.
- L’invasion de ravageurs : leur progression laisse des traces visibles de défoliation.
- La verse des céréales : l’inclinaison anormale des tiges est facilement détectable.
Grâce à ces informations, l’agriculteur peut rapidement intervenir sur les zones problématiques, ce qui limite les pertes de rendement. Certains services combinent même l’imagerie satellite à de l’intelligence artificielle : des algorithmes experts sont capables d’analyser automatiquement les images pour générer des cartes avec différents degrés d’alerte selon l’urgence des anomalies détectées.
Les objets connectés pour un suivi continu des élevages
Dans le domaine de l’élevage, de nombreux objets connectés voient également le jour pour faciliter la gestion des troupeaux, qu’il s’agisse de bovins, d’ovins ou de porcins. Le leader français sur ce créneau est l’entreprise Medria, basée en Auvergne-Rhône-Alpes. Ses innovations phares ?
- Le collier connecté qui analyse en continu l’activité des vaches : temps de rumination, de marche, température corporelle… Il détecte ainsi très tôt les problèmes de santé.
- Le robot autonome qui circule dans les bâtiments d’élevage pour relever différents indicateurs : température, luminosité, humidité, gaz carbonique…
- Le distributeur de concentré intelligent qui adapte automatiquement les rations alimentaires selon les besoins nutritionnels de chaque vache.
Résultat : un confort de travail amélioré pour les éleveurs, des économies de temps et d’argent, et un bien-être animal renforcé. D’autres start-up misent plutôt sur des technologies embarquées comme des caméras intelligentes capables de détecter les chaleurs ou les vêlages pour générer des alertes en temps réel.
L’intelligence artificielle pour établir des modèles prédictifs
En agriculture, anticiper les aléas est indispensable pour prendre les bonnes décisions et sécuriser les productions. C’est là qu’intervient l’intelligence artificielle, avec sa capacité à analyser des volumes massifs de données hétérogènes pour en extraire des corrélations et établir des modèles prédictifs.
Par exemple, la start-up toulousaine ITK analyse chaque jour un milliard de données météo et agronomiques avec ses algorithmes experts. Objectif : fournir aux producteurs de fruits et légumes des prévisions hyperlocales et très fiables sur les risques de gel, grêle, sécheresse, maladies fongiques… Jusqu’à 10 jours à l’avance !
Autre exemple : la modélisation du prix des céréales par l’IA. Basée sur des quantités astronomiques de données comme les surfaces cultivées, les prévisions de rendement de la FAO, l’historique des cours mondiaux…, elle permet aux agriculteurs d’arbitrer au meilleur moment pour vendre leur récolte au tarif le plus rentable.
Le défi du manque de données en agriculture
Le principal défi à relever pour déployer l’IA dans le secteur agricole reste néanmoins la disponibilité encore limitée des données. En effet, l’agriculture a longtemps été en retard en matière de digitalisation. Heureusement, avec l’avènement de l’Internet des objets (IoT) et le développement de réseaux de capteurs connectés, les volumes de données ne cessent d’augmenter, ce qui profitera aux modèles d’IA.
La robotique pour l’automatisation des tâches pénibles
En agriculture conventionnelle, certaines tâches comme la traite des vaches ou le désherbage manuel restent extrêmement chronophages et pénibles physiquement. Heureusement, la robotique commence à proposer des solutions d’automatisation bienvenues, qui améliorent à la fois les conditions de travail des agriculteurs et la productivité des exploitations.
La traite des vaches automatisée
C’est déjà une réalité chez certains éleveurs innovants : les robots de traite autonomes. Le leader sur ce créneau est le fabricant français Lely. Ses robots « Astronaut » se déplacent seuls dans les étables, vont chercher les vaches et leur mettent les trayons tout en analysant le lait en temps réel. Résultat : confort accru pour les animaux qui sont traits quand elles le décident, et temps libéré pour les éleveurs qui peuvent se consacrer à d’autres tâches.
Les robots désherbeurs pour remplacer le désherbage chimique
Autre piste prometteuse de la robotique agricole : le désherbage mécanique des grandes cultures, avec des robots dotés de caméras et d’intelligence artificielle capables de reconnaître les mauvaises herbes pour ne traiter que ces zones indésirables. Ces « robots désherbeurs » permettraient de se passer des herbicides chimiques de synthèse de plus en plus controversés.
Le coût encore élevé du matériel robotique
Le principal frein au déploiement massif de ces innovations robotiques reste néanmoins leur prix encore très élevé, qui les rend inaccessibles à beaucoup d’exploitations. Mais à mesure que les ventes augmenteront, une baisse des coûts de fabrication est attendue, ce qui devrait démocratiser progressivement ces équipements.
La blockchain pour plus de traçabilité et de transparence
La blockchain constitue une autre innovation d’avenir pour le monde agricole. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations transparente, sécurisée et infalsifiable présente de multiples applications potentielles, aussi bien côté production que transformation et distribution :
- Traçabilité des produits
- Certification des labels qualité
- Sécurisation des transactions commerciales
- Lutte contre la contrefaçon alimentaire